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Défense des côtes bretonnes : Les corps de garde du type 1846

Batterie & corps de garde de Locqueltas — Île d’Ouessant


Vers le milieu du 19e siècle, un important programme de défense des côtes est mis en œuvre. Ce dispositif se caractérise, entre autres, par une série de corps de garde et de réduits du type 1846 et leurs avatars.

Parmi ces constructions, aujourd’hui encore très largement répandues le long des côtes françaises, on distingue deux formes élémentaires :

  • Tour crénelée suivant un modèle numéroté de 1 à 3
  • Corps de garde crénelé suivant un modèle numéroté de 1 à 3

Ils sont disposés soit en retrait d’une batterie de côte ou sous la forme d’un poste d’observation isolé.

Pour conserver à ce billet une dimension nécessairement contenue, seuls des exemples de corps de garde crénelés venant compléter une batterie de côte seront abordés.

La batterie, visible à gauche du corps de garde, est parfaitement conservée 


Ce type de bâtiments se caractérise par son apparente simplicité aussi bien au niveau architectural que par son agencement intérieur. Si des variations dans les détails de construction peuvent être observées, c’est d’abord la taille qui les distingue (n° 1 pour la taille la plus importante, n° 2 pour la taille intermédiaire, n° 3…). Cependant, au fil du temps de nouveaux modèles viendront s’y ajouter à partir de 1861 (modèle « renforcé »…).

Si le programme n’a pas atteint le volume escompté, ce sont entre 120 et 150 réduits qui auraient été construits. Les derniers ouvrages, déjà largement marqués par l’obsolescence, seront construits en 1862.

Aspect général

Une forme rectangulaire, une terrasse unique bordée d’un parapet dans lequel sont disposés des créneaux de fusillade, une défense assurée par deux bretèches sur chaque face.

Corps de garde n°3 pour 20 hommes de la batterie de Loqueltas – Île d’Ouessant (1862) Seul le pont-levis fait défaut et la plate-forme restituée informatiquement dans son état du 19e.

Organisation intérieure

Suivant la taille de l’ouvrage, deux ou trois chambres voûtées disposées entre des groupes de deux ou trois locaux disposés perpendiculairement aux petits côtés du rectangle.

L’accès à la terrasse se faisait à l’aide d’un escalier en bois à partir d’une des chambrées. Son débouché était abrité sous une voûte. Cette terrasse formant, en théorie une plateforme d’artillerie servait également à la collecte des eaux pluviales qui venaient alimenter une citerne.

Ph. Truttmann (1) apporte une précision particulièrement intéressante à propos de l’aménagement des chambrées : « Le couchage de la troupe était organisé comme dans la marine, en hamacs et non plus sur des lits de camp, ceci pour de louables raisons d’hygiène et de convertibilité des locaux. On se réservait, en effet, la possibilité de replier à l’abri dans les casemates, en temps de paix, une partie des pièces de la batterie, et la présence de lits de camp fixes l’eût rendu impossible. ». On en déduit que le corps de garde remplissait également le rôle de magasin d’artillerie, au moins en temps de paix !

L’entrée était précédée d’un pont-levis permettant de franchir un modeste fossé. Suivait un vestibule muni d’une seconde porte dite de sûreté. Son accès était défendu par des créneaux de fusillade ainsi qu’un assommoir !

L’éclairage est assuré par des fenêtres barreaudées en forme de demi-lune également disposées au-dessus des créneaux de fusillade. Dans ce cas, elles permettent aussi l’évacuation des fumées alors que les armes utilisent encore de la poudre noire. Le magasin à poudre était quant à lui pourvu des classiques évents organisés en forme chicane.

La batterie de Locqueltas (Île d’Ouessant)

Il s’agit d’assurer la défense du mouillage de la baie de Lampaul. Sur le site d’une batterie existante, une nouvelle batterie de côte et un corps de garde crénelé n° 3 élevé en 1861-1862 ont été installés. L’armement prévu pour la batterie de Locqueltas était de deux canons de 30 et deux obusiers de 22 cm.

Le corps de garde du modèle n°3 est prévu pour 20 hommes. Les travaux ont été réalisés en 1861-1862. Le site est déclassé dès 1889 et l’armement n’a probablement pas été mis en place (source P. Jadé).


Vol réalisé au mois de septembre 2017 (résolution maximale : 4k)

La forme est typique… elle utilise un plan-type presque parfaitement standardisé sachant qu’il peut y avoir quelques variantes locales suivant les chefferies. Elles portent essentiellement sur les créneaux et les bretèches. Ici la plate-forme a été restituée en supprimant les ajouts actuels et répondre ainsi aux souhaits du propriétaire.

Vue d’apex — L’aspect de la plate-forme a été restitué informatiquement pour correspondre à son état du 19e s. et ne correspond bien évidemment plus à son aspect actuel —  En bas, à droite, plateforme pour l’un des 4 canons de 75 Mle 1897 sur affût 1916 installés sur  Ouessant à la veille de la 2e guerre mondiale

La batterie…

Vue du front de mer : La batterie protégée par son parapet ainsi qu’un merlon le llong de la côte masquent le corps de garde au regard des navires.

Portfolio… Le corps de garde type 1846 s’expose.

Corps de garde crénelé n° 2, année « 1847 » dit « Fort de l’îlette de Kermorvan » (Le Conquet)

Destinés à mettre en état de défense l’anse des Blancs Sablons dont le dispositif s’étend de l’anse de Porsmoguer au nord (Plouarzel) à la pointe de Kermorvan au sud (Le Conquet)., six ouvrages sont construits de 1846 à 1852 et deux redoutes modernisées (à l’origine, des redoutes du 17e).

Le corps de garde crénelé de l’îlette de Kermorvan a été construit en 1847. Il s’agit d’un modèle n° 1 (2) permettant d’armer la batterie attenante. La batterie a été déclassée dès 1876.

Batterie de Kerdonis [Belle-Île – état octobre 2012]


Ce cliché permet de mettre en évidence la recherche d’une position défilée permettant une mise à l’abri tout à fait adaptée au regard de l’armement des navires dans les années 1840-1850.


Corps de garde crénelé n° 3, année « 1862 » de Calgrac’h et batterie du Kernic (Ouessant).

Défendant du mouillage de la baie de Béninou, le corps de garde et la batterie se présentent aujourd’hui dans un état très dégradé. Toutefois le site est intéressant puisque les bornes militaires sont encore visibles.



Orientations bibliographiques & liens sur la toile.

(1) TRUTTMANN (Ph.) – Les derniers châteaux forts. Les prolongements de la fortification médiévale en France (1634-1914). Thionville, Gérard Klopp, 1993.

(2) Un blog incontournable, surtout lorsqu’il s’agit des fortifications de côte de la première moitié du 19e : Association « 1846 »

Plus particulièrement…

Défense des côtes bretonnes : Batterie de côte de Lanildut (fin 18e & 19e s.)

Au temps de la marine à voile, le cabotage (navigation à proximité des côtes) revêtait un caractère essentiel. En cas de gros temps ou de menace ennemie — essentiellement les Anglais — un mouillage abrité était particulièrement apprécié. Par ailleurs, dès le 17e siècle, le risque d’une incursion ennemie pouvant atteindre les ports et les îles bretonnes était réel… D’où la nécessité de fortifier les côtes pour les mettre à l´abri des insultes de l’ennemi !

La batterie de l’Aber-Ildut permettait la défense de l’Aber Ildut et des atterrages sur la côte le long du chenal du Four. 



À la fin du 18e siècle et durant la période du 1er Empire, la batterie de Lanildut était armée par 3 canons de 12 livres installés sur des affûts de côte selon le modèle de Gribeauval. Le châssis était orientable permettant le tir à barbette (tir au-dessus de la crête du parapet) :  En se passant d’embrasures avec un débattement latéral très réduit, on pouvait diminuer le nombre de pièces sans nuire à l’efficacité de la batterie. Si le calibre de 12 n’est guère efficace contre des navires de quelque importance, il était toutefois suffisant pour détruire les matures et balayer les ponts de navires ennemis… Un effet suffisant au regard du type d’objectifs pressenti.


La batterie de Lanildut est encore mentionnée en 1858 : elle était alors armée de 2 canons de 30 livres et de 2 obusiers de 22 cm.

Avec les progrès la marine à vapeur et le recul du cabotage, la batterie est abandonnée avant la fin du 19e s.

Description

La batterie n’était armée qu’en temps de guerre ! En temps de paix : les pièces de l’affût en bois — élément le plus fragile — étaient remisées dans les arsenaux. Le tube était simplement posé sur la plate-forme en bois, à même le sol.


La batterie est formée de deux épaulements de terre. Ils prennent la forme d’un fer à cheval rectangulaire d’une ouverture de 7 mètres (batterie nord armée une pièce d’artillerie, parapet en terre) et 18 mètres (batterie sud abritant deux pièces, dont le parapet est partiellement maçonné).

En arrière sont disposés un corps de garde (partiellement restauré), un petit magasin à poudre (ruiné) ainsi qu’une guérite (également ruinée). Un mât à signaux, aujourd’hui disparu, complétait l’ensemble en permettant de communiquer avec les batteries voisines.


Conclusion

La batterie de Lanildut a fait l’objet d’une restauration de grande qualité entre 2003 et 2007 : restauration de l’épaulement et de la plate-forme sud, reconstitution d’une pièce de marine de 12 livres modèle 1786 reproduisant la situation des guerres de la Révolution et de l’Empire.

Le travail est en tout point remarquable ! En mettant en exergue un aspect modeste et pourtant essentiel de la défense des côtes, ce site est une réussite qui mérite d’être pérennisée.

Malheureusement, les vues aériennes que nous venons de réaliser montrent une érosion importante de la côte qui atteint désormais les masses de terre du parapet !

Orientation bibliographique…

Inventaire du patrimoine de la région Bretagne ici

Défense des côtes bretonnes durant la guerre de sept ans – Saint-Malo [1756]

Pendant la guerre de sept ans, le littoral français, tout particulièrement les côtes bretonnes, est exposé à la menace permanente de descentes — i. e. débarquements — de troupes britanniques.

Si la défense du littoral au niveau des zones portuaires est assez bien documentée, il va tout autrement de l’organisation défensive aménagée le long des côtes. D’une construction par nature bien plus fruste, les vestiges sont aujourd’hui peu nombreux. Ils ne permettent d’appréhender l’importance et l’organisation de ce dispositif défensif que difficilement. Les publications sont tout aussi rares et se concentrent plus souvent sur certains dispositifs plus visibles tels que les fours à boulets.

Un précieux témoignage de la main de l’ingénieur Fougeroux de Blaveau nous permet toutefois d’illustrer, de manière concrète et totalement inédite, quelques aspects largement méconnus de la défense des côtes au milieu du 18e siècle.


Bien cordialement.


JM Balliet


Article proposé sous la forme d’un flip-book en suivant le lien ci-après…

Batterie de l’Aber Lanildut (Bretagne) — Cliché de l’auteur (2015)